Le quotidien d’un jockey basé au centre d’entraînement de Chantilly

On commence de bonne heure

Comme celle des chevaux auxquels il est associé, la journée d’un jockey ou d’une femme-jockey démarre très tôt, vers 5 heures en pleine saison. Ceux que vous voyez l’après-midi disputer les principales courses du programme n’échappent pas à la règle. Généralement, ils sont attachés à plusieurs écuries pour les galops du matin. Ils connaissent donc très bien les horaires et les habitudes de chacun : où les entraîneurs attendent sur le bord de telle ou telle piste les chevaux de leur écurie, qui ont souvent emprunté un parcours habituel, et à quelle heure chacun sort de son écurie. Les cavaliers et les cavalières salariés de l’écurie les montent jusque-là, et parfois aussi au travail proprement dit, mais pour les exercices les plus déterminants, avant une course ou dans le cadre d’une préparation spécifique, les entraîneurs ont besoin de l’avis d’un jockey pour prendre une décision sur le programme à suivre, ou mieux situer le degré de préparation de tel ou tel pensionnaire.

Un matin sur les pistes

Le jockey se présente donc à pied devant l’entraîneur avec lequel il a rendez-vous. Le cheval a déjà arpenté les allées du domaine pour se rendre là, il a même pu faire un petit galop pour s’échauffer, se mettre en « mode travail ». L’entraîneur et le jockey se connaissent bien. Certains sont plus bavards que d’autres, mais l’essentiel est déjà dit : pourquoi le cheval a besoin d’un test, de quel test il s’agit, faut-il aller sur telle ou telle piste, avec quel autre cheval, etc. Le cavalier du matin, qui très souvent est attaché au pur-sang qu’il monte au sein de son écurie, a eu le temps de sentir dans quelles dispositions « son » cheval était ce matin. Sauf alerte, on peut y aller…

Le jockey est à jeun. Il a pu prendre un café ou un thé sucré, mais il n’a rien avalé depuis hier soir. Il a l’habitude, et il sait déjà qu’il faudra tenir jusqu’au soir s’il a une monte avec un poids proche du sien.

Mais pour le moment, il faut se concentrer sur sa monte. Le cavalier du matin descend et laisse la place au jockey, qu’il aide à monter en lui prenant la jambe, à la courte échelle — exactement comme au rond de présentation avant la course.

Le parler cheval

Il s’agit maintenant de se mettre dans la tête du poulain, ce qui est plus facile si on le connaît déjà, naturellement, et c’est d’ailleurs préférable. Dans le cas contraire, on a averti le jockey des manies de sa monture, de ses tendances, et un petit galop de chasse jusqu’au point de départ du travail proprement dit permettra d’en savoir un peu plus sur l’animal !

Il y a un grand mystère qui demeure sur la nature précise de ce travail. Chaque entraîneur, en plus d’avoir son « coin » sur les pistes, et ses habitudes concernant le déroulement des exercices, a aussi son propre langage. De la même façon que les Inuits ont plusieurs mots pour désigner la neige ou la glace, ou que les Cantonnais ont neuf tons différents pour nuancer, voire carrément différencier, les mots qu’ils prononcent, les professionnels des courses ont chacun une notion spécifique de la vitesse et de l’allure. Selon le contexte, un canter peut être rapide ou pas. Un breeze peut être un sprint ou un canter à peine soutenu. On en passe… Certains préfèrent voir leurs pensionnaires aller vite sur de courtes distances, d’autres sur plus long et moins vite. Tous les chemins mènent à Rome. Le travail du jockey est aussi de décoder tout cela. Mais si vous et moi recevions les mêmes instructions de l’entraîneur, nous partirions vers le départ de l’exercice sans trop savoir où nous allons, un peu comme un mauvais élève découvrant le sujet d’une épreuve du bac qu’il n’a pas révisée du tout.

Faire ses devoirs le matin

L’expérience d’un jockey, c’est aussi cette capacité à comprendre l’intention de l’entraîneur, à piloter un avion sans altimètre ni compteur de vitesse, sans brusquer le moteur mais en arrivant pile à une heure que vous aurez dû deviner ! C’est la raison pour laquelle la plupart des jockeys aiment monter le matin des chevaux auxquels ils seront associés en course, surtout les meilleurs d’entre eux. Il y a un travail minutieux de mise au point auquel ils aiment participer.

Ce sont, l’un comme l’autre, des professionnels. Ils savent ce qu’ils font dans une activité inspirée par un empirisme qui a fait ses preuves, au fil des trois derniers siècles qu’existent les courses de pur-sang, et des quatre millénaires qui se sont écoulés depuis la domestication du cheval. Ils savent ce dont un pur-sang a besoin pour atteindre son meilleur niveau, et leur expérience permet de prévenir les erreurs que d’autres, moins expérimentés, pourront faire.

Débriefing

De retour de ce galop d’entraînement, le cheval retrouve son cavalier habituel, et le jockey donne ses impressions à l’entraîneur, qui les confronte aux siennes. Le premier était à cheval, le second au bord de la piste, avec ou sans jumelles, parfois à pied, parfois à cheval lui-même, mais généralement toujours dans la même situation : il faut pouvoir comparer avec les exercices précédents et, pour cela, il ne faut pas changer de perspective. Comme les animaux qu’ils entraînent, les entraîneurs ont besoin d’une certaine routine.

Pour le jockey, ces séances sont très importantes à plusieurs titres. Au-delà de la participation à l’entraînement, elles lui permettent de garder le contact avec les entraîneurs, qui sont la plupart du temps ceux qui les choisissent pour monter leurs pensionnaires. Si les montes sont généralement négociées par leur agent auprès des entraîneurs, il est important pour les jockeys de conserver un contact direct en dehors de l’hippodrome et de la course. Cela permet de mieux connaître ses partenaires, bien sûr, et de mieux comprendre leur programme, mais aussi de pouvoir répondre aux questions qui ne sont pas toujours posées, de s’expliquer en cas de défaite inattendue, d’aborder ses montes avec davantage de sérénité.

La pause-café

Une fois le débriefing terminé, moins de 20 minutes après le début de la séance, le jockey peut se diriger vers son prochain exercice, la plupart du temps à pied, et au pas de course (tout est bon pour perdre quelques grammes), vers un autre rond ou l’attend un autre entraîneur, un autre cheval, et un autre cavalier du matin…

En début de saison ou à la veille des principaux meetings, un jockey de haut niveau peut monter jusqu’à cinq galops par matinée de travail. C’est alors le moment de la récompense : un autre café, mais cette fois au café, justement, avec les entraîneurs et les autres jockeys, déjà croisés d’un rond à l’autre au cours de cette matinée. Il est 8 heures à peine.

C’est pour eux la récréation. On parle chevaux, on évoque les courses d’hier et celles d’avant, celle d’aujourd’hui et celles de demain, et on aborde tout un tas de sujets, comme tous les travailleurs qui se retrouvent au casse-croûte quand ils ont commencé de bonne heure.

Il y a fort à parier que ce moment est celui que tous ses hommes de cheval préfèrent. C’est leur bulle.

Préparatifs

De retour à la maison, le jockey peut suivre différents scénarios selon son emploi du temps de l’après-midi. Il doit d’abord se préoccuper de son poids. S’il est un peu juste par rapport aux montes qu’il a acceptées pour la suite de la journée, il devra tâcher d’en perdre un peu avant de prendre la route de l’hippodrome, car les saunas sont désormais interdits là-bas. Il devra donc se « sécher » en courant, à vélo, par exemple. Puis, s’il monte sur un hippodrome de Province, il devra partir de bonne heure. S’il court dans la Région Parisienne, il a plus de marge, mais très souvent, les jockeys s’arrangent pour faire la route ensemble, en covoiturage. Ils partagent ainsi les frais des longs déplacements, et font même parfois appel à des chauffeurs, quand ils ne prennent pas le train, voire l’avion de ligne, pour se rendre sur place. Bien souvent, ils connaissent un taxi à la plupart des destinations. Quant à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, il est tout près de Chantilly !

Autour de Paris, les pilotes arrivent aux courses sans leur matériel. Il est acheminé d’un site à l’autre par les valets qui les assistent aux vestiaires. Les malles contenant les cravaches, les gilets de protection et les casques, entre autres, suivent le circuit de leurs propriétaires. Dans les vestiaires, chacun a sa place habituelle et son nom sur le casier qui en dépend. Évidemment, l’ancienneté est un facteur décisif dans l’attribution de ces places, mais les jockeys tâchent généralement de se regrouper par affinités. Deux rivaux sur les pistes sont rarement assis l’un à côté de l’autre.

Les vestiaires, c’est un open space !

Faire le poids

Sur les principaux hippodromes, une petite cuisine où ils peuvent s’alimenter de plats préparés ou de snacks, fruits ou légumes est mise à la disposition des jockeys. Au fil des années, l’alimentation qui leur est proposée a beaucoup évolué. Le merveilleux jambon-beurre confectionné par les « valets » des vestiaires a laissé place à des aliments plus sains, énergétiques et équilibrés. Les jockeys sont suivis avec attention par les services médicaux de France Galop. Chaque année, le renouvellement de leur licence est conditionné à une visite médicale plus poussée que celle qui vous permettra de jouer sans vergogne aux fléchettes. Les jockeys choisissent leur poids minimum sous conseil médical et ne peuvent accepter de monte à un poids inférieur. Toutefois, à l’occasion d’un défi particulièrement important, souvent la monte d’un favori dans une course de haut niveau, ils pourront approcher de ce poids minimum. Inversement, l’entourage d’un cheval pourra accepter de lui faire porter plus de poids que prévu pour que le jockey qu’ils ont choisi puisse le monter.

Les efforts des jockeys pour surveiller leur poids est d’autant plus admirable que malgré tout, ils doivent fournir des efforts très violents en course. Vue de son fauteuil, leur activité ne fait pas tellement sensation, pas plus d’ailleurs que celle d’un pilote automobile enfoui dans la carapace de son engin, mais l’intensité de l’effort est bien réelle. On parle ici d’individus de 50 et quelques kilos poussant des créatures qui peuvent atteindre huit à dix fois leur poids.

Le protocole avant la course

L’arrivée sur l’hippodrome a lieu environ une heure avant le départ de la première course du carnet de chacun. La pesée a lieu une demi-heure avant. C’est là que ceux qui ont été tirés au sort pour un prélèvement de contrôle médical sont informés : il s’agit de vérifier que tout le monde est en état de monter en course, mais aussi de repérer des traitements inadéquats qui pourraient nuire à la santé des sportifs à plus ou moins long terme.

Si l’état de la piste a pu se dégrader en raison des intempéries, le jockey pourra se rendre à pied sur les zones les plus cruciales et étudier la conformation du terrain. S’il fait chaud, cela peut aussi lui permettre de perdre quelques grammes supplémentaires.

Pour la pesée, le jockey organise son équipement de façon à atteindre le minimum requis, éventuellement, à l’aide de plaques de plomb mises à sa disposition. Il s’assied, sans casque ni cravache, mais en casaque, sur une balance très précise, sous l’œil des préposés à la pesée. Chaque partant doit porter le poids prévu dans les conditions de la course. Jamais moins, parfois un peu plus, mais dans des limites fixes. Ils seront aussi pesés à nouveau après la course et le poids constaté pourra avoir changé, parce que le jockey a beaucoup perdu d’eau dans son effort, parce qu’il a plu et que sa casaque a pris l’eau, ou parce qu’il s’est désaltéré. Là encore, les variations doivent respecter un seuil au-delà duquel le partant sera disqualifié si le poids constaté est trop léger, le jockey puni s’il est trop lourd.

Le goût des autres

La vie d’un jockey est conditionnée par la balance, même s’il est naturellement léger et qu’il n’a pas besoin de gros efforts pour garder un poids acceptable. C’est souvent un facteur important dans la décision de prendre sa retraite. La difficulté croissante à garder son poids peut devenir très lourde.

C’est un métier qui devient complètement impossible lorsque l’on perd la motivation. Il n’y a pas de pilotage automatique.

Après la pesée, l’équipement éventuellement alourdi est rendu à l’entraîneur, ou à son préposé, qui retournent aux écuries pour seller le partant. Ils se retrouveront au rond de présentation quelques minutes plus tard.

Quand un jockey ne monte pas, il peut se remémorer les dernières courses de son futur partenaire — ou de ses adversaires — en lisant les vidéos de ses dernières sorties sur sa tablette, ou étudier encore les performances de chacun… Il va aussi suivre les courses du jour, bien entendu. Bienheureuse la petite souris qui participe à ces audiences ultra-professionnelles, et souvent impertinentes !

Ce qui se passe dans le peloton est évidemment moins confidentiel. Un jockey populaire montera souvent des chevaux qu’il connaît à peine. L’entraîneur ou son représentant lui donneront dans ce cas les informations qui lui permettront d’éviter les surprises une fois en selle. Le cavalier aura aussi été informé par son agent des particularités et des aptitudes du partenaire qu’il lui a souvent choisi parmi les meilleures chances disponibles, selon les goûts du jockey, ses habitudes et ses entraîneurs les plus fidèles, sans parler des éventuels contrats, officiels ou moraux, le liant à telle ou telle casaque, telle ou telle écurie.

La routine du cascadeur

Les premiers pas au rond de présentation, le canter vers le départ et la marche derrière les boîtes de départ compléteront la rapide prise en main du jockey, qui aura pu, comme nous l’avons expliqué, revoir les dernières tentatives de l’animal.

Pour des profanes comme vous et moi, le reste semble particulièrement impressionnant. Il s’agit d’entrer dans une stalle étroite avec un cheval inconnu, souvent nerveux, de prendre un départ de 0 à 60km/h à 2m du sol sur quatre jambes, flanqué de part et d’autre par ses concurrents, puis de viser un disque rouge, au loin, sans se marcher sur les pieds, sans être gêné ni gêner, sans perdre un dixième de seconde, sans laisser la place qui s’offre à vous au voisin qui la convoite aussi… Tout ça avec un frein à retardement, un volant approximatif et un des accélérateurs les plus compliqués et incertains de la Création, perché sur un « véhicule » équipé d’un réservoir dont on ne peut que supposer très vaguement le contenu, et qu’il faut ménager au maximum pour éviter la panne sèche. Et toujours plus vite que les autres, mais en n’allant pas trop vite quand même… Les courses à handicaps, notamment celles des Quintés+, sont les plus difficiles car elles mettent aux prises de nombreux partants dont les chances sont les plus équivalentes, ce qui réduit les marges d’erreur des jockeys au minimum.

Ce que les êtres humains peuvent accomplir en l’espace d’une seconde laisse parfois rêveur. Un pianiste virtuose en est l’exemple le plus frappant, mais comme un pilote de Formule 1, un jockey doit maîtriser une telle quantité de paramètres dans des laps de temps si courts, sans pouvoir toujours anticiper les circonstances, qu’une dose d’inspiration, mêlée à l’expérience forgée par des milliers de montes et des années à l’entraînement, est forcément mise à contribution.

La touche de génie

Force, équilibre, sang-froid, réflexes sont simultanément sollicités mais demeurent insuffisants : il faut encore une compréhension de son environnement immédiat sans cesse renouvelée, la vision d’aigle que les amateurs d’Assassin’s Creed apprécieront.

À partir d’un certain statut, le crack-jockey doit être équipé de ce pouvoir, que certains obtiennent presque d’entrée.

Il y a une petite touche de génie qu’on appelle « la main », et qui ne s’explique pas. D’excellents jockeys ont connu de grands succès sans avoir ce petit truc en plus, et d’autres n’ont pas pu l’exploiter de façon optimale pour d’autres raisons. Mais pour reprendre l’analogie des jeux vidéo (ou des voitures à conduite assistée), c’est un peu comme si votre manette était équipée de vibreurs imitant le ressenti du personnage joué. Pour un jockey, il s’agit d’intervenir plus directement sur le comportement du cheval par le biais des commandes traditionnelles mains-assiette-jambes/talons, qui seraient les X, Y, A et B de votre manette Nintendo !

Est-ce pour cette raison que les jockeys sont si souvent de grands fans de jeux vidéo ? Ils sont en tout cas de très bons sportifs, quelle que soit la discipline à laquelle ils s’intéressent. Ils ont ces capacités physiques et mentales, ces réflexes et cette souplesse qui leur permet de toucher à tout avec succès.

Le rush de la course, qui ferait reculer l’homme de la rue, c’est le quotidien des jockeys, c’est leur vie, leur plaisir et souvent leur obsession, comme beaucoup de sportifs de haut niveau, surtout lorsque l’activité est riche en sensations : glisse, vitesse, acrobatie.

Cet effort doit être répété plusieurs fois dans chaque réunion parfois d’un bout à l’autre.

D’une course à l’autre

Entre chaque course, les mêmes gestes sont répétés, la concentration relâchée ou intense. De la même façon qu’entre deux actes, dans une même pièce, les comédiens peuvent se montrer fanfarons ou renfermés, les jockeys peuvent prendre eux aussi les choses à la légère ou suivre d’un bout à l’autre un fil qui les éloigne du monde.

Il y a toutefois quelques variantes à la routine, notamment les passages dans le bureau des commissaires. C’est un rituel qui vaut le déplacement. Mettons qu’il y ait un incident dans le parcours, une gêne à l’arrivée. Les commissaires appuient alors sur le bouton qui déclenche une alerte sonore : il y a « enquête ». Les protagonistes de l’incident sont alors convoqués et entrent ensemble dans le bureau sombre des commissaires, dont l’accès est direct à partir des vestiaires. Il est sombre parce que l’on doit revoir les images de la course sur un grand écran, c’est une ambiance de salle de cinéma, ou de confessionnal ! On se salue et les commissaires demandent à chaque jockey impliqué, ou supposé l’être, de donner sa version des faits. On leur pose encore quelques questions, et s’il doit y avoir décision, par exemple si l’arrivée est modifiée ou si un jockey a utilisé sa cravache de façon inappropriée, sans que cela ne mène à une modification de l’arrivée officielle, alors des sanctions peuvent tomber que les jockeys apprendront plus tard, à froid, lorsqu’ils seront convoqués de nouveau. L’exercice peut impressionner les plus jeunes, qui joueront parfois les matamores, parce que c’est de leur âge et qu’on crie plus vite à l’injustice quand on est jeune et bouillant. C’est un échange très formel, dont l’essentiel est publié dans les procès-verbaux des courses (c’est le nom qu’on donne aux résultats officiels), puis dans le « Bulletin Officiel », qui consigne tous les résultats et les procédures liées à ces résultats. Échange formel, donc, mais globalement bienveillant. Il y a une vertu pédagogique importante dans l’activité des commissaires.

Savoir souffler

Les commissaires et les jockeys se connaissent bien, et les pilotes qui ont le moins de points sur leur permis les fréquentent le plus, évidemment. Le but, toutefois, est que « ça se passe bien ». Au fil du temps, les jockeys ont beaucoup gagné en considération de la part des organisateurs et des officiels. Ils sont représentés dans toutes les instances. On a pris conscience des difficultés de leur métier, des effets sur la santé physique et mentale d’un régime parfois sévère, mal documenté, d’une vie de déplacements pas toujours bien enracinée, sujette à d’incessantes tentations, de carrières parfois très courtes. À l’image des footballeurs, les jockeys arrivent jeunes dans ce métier, et peuvent soudain gagner beaucoup d’argent. Sans une bonne boussole, même les plus doués peuvent vite perdre leur chemin.

Après s’être battu comme un guerrier au sein du peloton, il faut donc savoir redescendre en intensité pour se changer, prendre un nouveau poids, se peser, répondre calmement aux commissaires, puis se projeter sur la course suivante, découvrir de nouveaux ordres, un nouveau cheval, etc.

« On a l’habitude, on est préparé pour ça. C’est notre métier », lâchent-ils souvent lorsqu’on relève l’intensité de ce quotidien. Pour eux, c’est une routine, mais tout relâchement est payé cash. Une fois encore, il n’y a pas de jockey de haut niveau en pilote automatique.

La recherche d’un équilibre

Toutefois, comme n’importe quel ouvrier, ils quittent leur uniforme une fois le boulot accompli, puis retournent chez eux, très souvent dans les embouteillages, et généralement avec quelques collègues, pour retrouver leur intimité.

C’est aussi le secret de leur longévité. Ils doivent avoir une condition physique exceptionnelle pour pratiquer ce métier, mais s’ils savent gérer le stress de la course, le poids de la responsabilité au départ des plus grandes épreuves, alors l’atout de l’expérience devient tel qu’il leur permet d’adapter leur monte aux faiblesses de l’âge. L’expérience qui use les organismes devient aussi celle qui les préserve.

Sauf qu’avec tout ça, il est l’heure de dîner ! De retour chez lui, le jockey peut enfin s’alimenter convenablement, mais sans s’empiffrer. Il peut faire un bon repas s’il a assez de temps ensuite pour éliminer un peu avant de se coucher. Là encore, il connaît ses limites et son corps est adapté au régime adopté, selon son habitude : des repas très légers espacés pour ceux dont le métabolisme est le plus contraire au maintien d’un poids léger, ou des remises à niveau quotidiennes pour ceux qui ont la chance de ne pas avoir trop besoin de surveiller leur balance.

Lorsqu’ils prennent leur retraite, les jockeys prennent souvent beaucoup de poids en très peu de temps. Ceux qui ont pu s’alimenter régulièrement chaque jour pendant leur activité ont moins de difficulté à s’adapter à cette liberté. L’organisme des autres a besoin de plusieurs mois pour se stabiliser, parfois en revenant à un poids similaire à celui de leur carrière en course. Le plus important, c’est la régularité et l’équilibre de l’alimentation.

Le jockey que nous avions suivi est rentré tôt, aujourd’hui, car la réunion commençait de bonne heure et qu’elle était près de chez lui. Il va pouvoir profiter un peu de sa famille, manger les œufs au jambon dont il raffole, et se coucher tranquillement.

Demain matin, il doit monter à l’entraînement ce poulain qu’il aime bien et qui est engagé dimanche. Il le montait lorsqu’il a été battu pour ses débuts, la dernière fois, dans un maiden face à des chevaux qui avaient déjà débuté. Mais ses chronos étaient dingues !

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