La préparation d'un yearling aux ventes aux enchères

Les ventes de yearlings en France

Un yearling est un poulain d’un an, c’est-à-dire un poulain qui a passé son premier hiver. C’est souvent à cet âge, partout dans le monde, que les éleveurs vendent leur meilleure production de pur-sang, généralement au cours du second semestre. En France, les plus fameuses ventes de yearlings se déroulent pendant le meeting d’août à Deauville, en Normandie. La société qui les organise s’appelle Arqana. Créée en 2006, elle est le fruit de la réunion des précédentes principales agences de vente en France, à savoir l’Agence Française de vente du pur-sang, et Goffs France. L’autre opérateur français de ventes de yearlings galopeurs, Osarus, prend le relais en septembre à La Teste-de-Buch, en Gironde. Au cours des quatre sessions de la première vacation européenne qu’est la vente Arqana d’août, plus de 400 poulains -soit près de 5% de la production annuelle de pur-sang en France- passent sur le ring. C’est un podium aménagé devant la tribune où sont enregistrées les enchères issues des gradins et des travées de l’établissement de ventes. Des acheteurs venus du monde entier s’y pressent pour faire leur shopping.

En 2024, le prix d’adjudication moyen des trois premières journées s’est établi à plus de 215 000 €, avec un prix maximum de 1,7 million d’euros. Il s’agit donc d’une échéance capitale pour les éleveurs-vendeurs. Ils ont préparé leurs poulains pour qu’ils se présentent au summum de leur condition physique à Deauville, « dans leur robe de mariée », comme dit l’expression. Au total, au cours de l’année et en France seulement, près de 2 000 yearlings passent sous les enchères à Deauville et ailleurs, dont une grande majorité élevée dans le pays.

Une réflexion entamée très en amont

Ces poulains n’ont pas été dressés -on dit « débourrés ». Ils n’ont donc pas été montés. Pour autant, ils ont suivi un programme d’entraînement pour que toutes les chances de réussite soient sur leur côté. À bien des égards, ils sont préparés à cette échéance depuis la naissance, et même, depuis leur conception, car le choix du pedigree du père à croiser avec celui de la future mère détermine déjà les ambitions des éleveurs pour le petit à naître.

En somme, il s’agit de croiser le meilleur avec le meilleur, mais toutes les bourses ne peuvent s’offrir les meilleurs gènes du monde, aussi faut-il distinguer plusieurs catégories et faire en sorte que l’acquis puisse sublimer l’héritage génétique.

La vente, à bien des égards, et quelle que soit la catégorie dans laquelle s’inscrit le poulain, est en quelque sorte la première grande course qu’il doive disputer.

La préparation des yearlings pour les ventes Arqana d’août démarre au début de l’année, lorsque les poulains sont inscrits à l’ensemble des ventes Arqana, celles d’août et celles d’octobre, qui réunissent pour leur part près de 700 lots. Cela porte à plus de 1 100 au total, ou 20% de la production française, le nombre de lots au catalogue des deux vacations Arqana d’août et d’octobre.

Souvent, les poulains ont passé l’hiver dans le haras qui les a vus naître, et où ils continueront leur préparation si ledit haras a mis en place une organisation adéquate. D’autres rejoignent les effectifs des haras professionnels en cours de route, et parfois juste à temps pour la préparation plus intensive des semaines qui précèdent la vacation d’août à Deauville, en avril. Cela prend des allures de classes au service militaire, pour ceux qui ont connu.

Plusieurs inspections pour suivre la croissance

Arqana envoie ensuite ses inspecteurs dans tous les haras où se trouvent des poulains inscrits pour les examiner et évaluer leur potentiel. Au fil de leurs inspections, aux quatre coins du pays et même à l’étranger, ces experts vont déterminer, en collaboration avec les propriétaires-éleveurs et le cas échéant les préparateurs des haras, quelle vacation correspond le mieux à chaque individu. Si les ventes d’août sont censées réunir les meilleurs yearlings, la sélection n’est pas entièrement liée au seul potentiel de prix, mais aussi à la maturité des poulains, à l’évolution de leur modèle, et même à la façon dont, au fil de la saison, les autres produits de jeunes étalons vont se comporter en piste, de même que ses frères et sœurs qui peuvent se révéler au printemps et au début de l’été.

Les pur-sang ne naissent pas tous au même moment. Les naissances s’étalent de janvier à avril, voire mai. En avril, ils n’ont donc pas tous encore un an alors que d’autres ont eu trois mois de plus pour « pousser », et s’affermir. C’est exactement comme les classes d’âge en cours primaire : il y a des gabarits et des âges très variables au sein d’une même promotion.

De même, certains poulains se mettent à grandir très vite, pas forcément au bon moment, ou alors de façon déséquilibrée, et les décisions peuvent évoluer jusqu’à la fin de la sélection, presque jusqu’à l’impression des catalogues. Malgré tout, des indices ne trompent pas. Les experts délégués par les organisateurs de ventes voient passer des milliers de poulains devant eux chaque printemps depuis parfois une vingtaine d’années. Leur expérience est sans pareille. Les éleveurs et les vendeurs (qui préparent les poulains pour d’autres éleveurs) ont une vue plus concentrée sur leurs produits, mais ils observent depuis toujours tous les poulains de la création qu’ils sont amenés à croiser, et connaissent bien souvent toute la famille de ces poulains. La combinaison de ces expériences fait que chacun sait à quoi s’attendre.

La morphologie et la façon de se déplacer du poulain peuvent indiquer son évolution aussi clairement que certains nuages apportent la pluie. À la manière d’un vigneron qui pourra deviner la qualité d’un millésime en observant et en goûtant un fruit encore vert, ces professionnels peuvent très tôt déterminer le potentiel des poulains avant même que ceux-ci n’atteignent leur maturité. Un individu un peu en retard en mars pourrait très bien se retrouver très abouti en août. Inversement, celui qui dépassera les autres au printemps pourrait moins bien évoluer au cours de l’été. Cela se devine… avec beaucoup d’expérience et d’expertise !

Une préparation spécifique

Mettons, pour les besoins de notre article, que le poulain auquel nous allons nous intéresser soit sélectionné pour les ventes d’août… Il entre alors dans un circuit, un programme de préparation spécifiques. Les yearlings qui seront présentés plus tard, ou ceux qui quitteront le haras directement pour le débourrage, le pré-entraînement et la compétition, suivent une autre voie. Leur prochaine échéance est pour plus tard…

C’est en mai qu’un poulain destiné aux ventes d’août va entamer une préparation spécifique. Avant cela, ils ont vécu avec les autres. Ils ont été rentrés les nuits pendant l’hiver et nourris en conséquence, pour éviter toute carence alors que leur croissance est déjà entamée, bien sûr. Ils passent la plupart de leur temps dehors aux beaux jours, pour profiter de la « bonne herbe » et du soleil, quand il y en a ! En juin, ceux qui iront à Deauville s’attaquent aux choses sérieuses.

Tout d’abord, leur régime alimentaire évolue avec davantage de compléments pour favoriser leur croissance et mieux supporter le travail. C’est en effet dans le maniement que les ventes se préparent. Pour séduire, un poulain doit être capable de se présenter correctement, de prendre la pose, de marcher avec efficacité, en déployant déjà une amplitude susceptible de se traduire par une belle foulée ensuite, à l’entraînement. Il est très important aussi que les poulains aient de bonnes et belles manières, qu’ils soient volontaires mais maniables, qu’ils montrent un certain tempérament mais dans la bonne volonté. Cela s’inculque aussi par le dressage, c’est-à-dire l’entraînement, littéralement, et l’éducation.

Pour obtenir ce résultat, il faut leur apprendre à marcher, à se détendre, à faire confiance. La plupart du temps, en France, celui ou celle qui accompagnera le yearling sur le ring est aussi à ses côtés durant sa préparation. Cependant, si ces trois minutes au maximum qu’un poulain passe devant le public décident bien souvent de son destin, les deux ou trois jours passés dans l’établissement de ventes avant ce moment décisif sont tout aussi cruciaux.

Le "modèle"

Le pedigree du poulain est détaillé sur l’épais catalogue et dans des applications et des sites spécialisés. Il a été disséqué sur trois ou quatre générations par des centaines d’experts, conseillers des acheteurs, de courtiers, d’entraîneurs et même de logiciels programmés pour déterminer statistiquement quels sujets sont le plus à-même de réussir en piste. Il faut encore posséder un beau « modèle », c’est-à-dire que les mensurations et l’aspect général doivent répondre à des critères. Beaucoup sont objectifs, ou à peu près. Il faut que les jarrets soient orientés et plantés de telle façon, que les genoux ne soient ni ceci, ni cela. Les siècles vécus les uns avec les autres se traduisent par tous ces termes utilisés dans ce monde presque exclusivement et qui désignent des particularités, défauts ou qualités dans le modèle des chevaux. Les jarrets et les genoux peuvent être « renvoyés », un poulain jugé cagneux, long-jointé, ensellé, etc. Tout ce qui a trait à la façon dont le cheval se tient sur ses membres et la façon dont il pose ses pieds pour organiser sa marche renvoie à « l’aplomb ». Les « défauts d’aplomb » sont très importants, aux yeux des acheteurs. C’est l’équivalent d’une roue voilée ou d’un train mal équilibré. À grande vitesse, cela peut provoquer un dérèglement. Ces petits défauts imperceptibles sont, pour la plupart, imperceptibles pour les profanes puisque nous ne vivons plus avec des chevaux depuis plusieurs générations. Sauriez-vous juger des aplombs d’une girafe ou d’un dromadaire ?

Or ces petits défauts peuvent dévoiler des anomalies, des façons de se tenir et de se déplacer peuvent, à la longue ou sous l’effet de l’entraînement, provoquer des blessures. Ils peuvent aussi témoigner d’un défaut génétique qui se révèlerait problématique pour une éventuelle carrière à l’élevage, car les défaits se transmettent autant que les qualités.

Ces défauts sont aussi parfois dus à un défaut de croissance, ou d’une mauvaise position pendant la gestation, qui ils se corrigent alors dans les premiers mois grâce à une ferrure adaptée, par exemple. De la même façon qu’on ferait porter à un enfant aux pieds plats des semelles orthopédiques, « de compensation ».

Apprendre à marcher

Ensuite, le poulain doit savoir bouger. On attend de lui qu’il puisse marcher d’une certaine manière, exactement comme le catwalk des mannequins. Il doit aller de l’avant de façon décidée, ses pas doivent avoir une longue portée, ses postérieurs pousser et ses antérieurs tirer. Il doit montrer qu’il est volontaire, et on touche alors à quelque chose qui, au-delà des traces que les sabots laisseront au sol, évoque plutôt l’attitude. On tolèrera de petits écarts, on comprendra un peu de nervosité, surtout en fin de journée, même du caractère, si tout cela concourt à donner au yearling quelque chose de spécial, une vie bouillonnante davantage que de la rétivité.

Pedigree, modèle, locomotion et tempérament sont les principales sources du savoir équin, dans ces circonstances. Les vétérinaires peuvent aussi consulter le dossier du poulain, qui consiste en un examen endoscopique des voies respiratoires, par exemple, mais aussi tout un jeu de radios qui doivent accompagner les centaines de poulains inscrits et sélectionnés. Chaque jeu de radios doit comprendre un nombre minimum de prises de vue précises de tel membre selon tel angle.

Les yearlings dont le dossier est le plus impeccable ne font pas forcément les meilleurs chevaux de course. C’est cette grande inconnue, cette touche de génie qu’il est pratiquement impossible de déceler à coup sûr, qui fait que les poulains les plus chers ne sont pas toujours les premiers au poteau, et qu’un dossier médiocre peut accompagner un futur champion.

Toutes ces inspections répétées plusieurs fois par jour après l’arrivée des yearlings à l’établissement de vente, parfois une semaine avant leur passage sur le ring, peuvent évidemment solliciter la condition des poulains s’ils n’y sont pas préparés. Et ce sont les plus populaires qui sortent le plus souvent… Mais chacun sait à l’avance qu’ils seront très demandés, et ils sont donc préparés soigneusement pour suivre la cadence.

Certains courtiers font une tournée dans les haras avant la vente pour mieux pouvoir constater l’évolution des yearlings qu’ils retrouveront quelques semaines plus tard, en public.

Ainsi, les poulains passés aux ventes sont généralement plus dociles que les autres, qui ont été moins « manipulés ». Plus tôt l’animal est entrepris, plus tôt il intègre son travail. Il apprend à apprendre. C’est exactement comme les humains !

L'organisation des haras et des "vendeurs"

Même au sommet de la sélection, un catalogue réunit des vendeurs très différents les uns des autres. Il y a de gros haras qui préparent de nombreux poulains, et leur présentation est réglée comme un ballet. C’est presque un spectacle, avec des extras recrutés partout dans le monde pour leur capacité à bien présenter les poulains. Comme des saisonniers en restauration l’été, ils vont d’une vente à l’autre pour emmener des dizaines de yearlings en main, les mettre en valeur et les placer comme il faut. Ce sont presque des jockeys !

D’autres éleveurs-vendeurs sont plus limités en effectifs, et les poulains sont alors suivis par leurs compagnons habituels. Pour eux, la vente peut devenir un crève-cœur car, même si l’on est professionnel, on a pu s’attacher à tel ou tel poulain au fil des semaines, surtout si on l’a vu naître. Ils ne sont pas forcément intéressés au produit de la vente mais ils suivront parfois leurs protégés jusqu’au bout de leur carrière, allant jusqu’à les adopter une fois la carrière de course terminée.

Les poulains sont logés selon leur vendeurs dans les cours des ventes. Leur numéro de catalogue est affiché en évidence sur leur box, et un badge numéroté est attaché à leur licol. Quelques heures avant le passage de chaque poulain sur le ring, un autocollant portant son numéro est aussi collé sur sa fesse -si le vendeur ne l’a pas déjà fait. Chaque yearling va en effet marcher longtemps avant d’entrer dans l’amphithéâtre où son sort pourra être scellé. Chacun doit pouvoir le reconnaître facilement, et cet autocollant servira à l’identifier à l’occasion d’un dernier examen.

À 10 numéros de son tour, soit une petite demi-heure (en Europe, on passe en moyenne 25 lots à l’heure), le yearling tourne dans le rond de présentation, derrière la tribune. L’excitation est palpable et il peut le ressentir, s’énerver un peu à ce moment-là. Cette expérience a pu être préparée en amont, mais tout ce monde autour du rond, les haut-parleurs, c’est tout de même quelque chose de relativement nouveau.

Le grand jour

Puis, vient son tour. Le yearling et son accompagnateur passent par un petit sas et grimpent le petit ring, devant la tribune. Le commissaire-priseur fait un bref laïus sur son pedigree, et les enchères commencent. La première est souvent la plus longue à venir, avec la dernière. Les enchérisseurs, comme dans la plupart des ventes, lèvent la main à tour de rôle. Parfois, un signe de la tête suffit, parfois moins encore si l’acheteur s’est entendu sur un signe distinctif avec un des préposés de l’agence disposés mpour justement relever les enchères. Il y en a jusqu’au restaurant panoramique. C’est alors eux qui crient pour signaler l’enchère à la tribune. Qui passe au prix immédiatement supérieur par tranches de 5, 10 ou 100 000 €.

Le dernier enchérisseur emporte la mise. Le poulain ressort après avoir assisté du ring à ce spectacle étrange, pendant lequel il a marché en rond, s’est arrêté, a été manipulé pour se présenter à son avantage.

Pendant que son nouveau propriétaire -littéralement, il le devient lorsque le marteau tombe- signe son bon d’achat, le poulain retourne vers son box. S’il a fait un bon prix, il sera peut-être encore présenté avec ses vendeurs et ses acheteurs devant les photographes. Puis il retourne chez lui et la plaque numérotée de son box est retournée pour signaler qu’il a bien été vendu. Dans le cas contraire, on la remplace par une autre plaque à fond vert mais avec le numéro en rouge, signalant qu’il est toujours à vendre « à l’amiable ».

Ensuite, soit l’acheteur organise le transport du poulain vers sa nouvelle destination, soit il le laisse quelques temps chez son éleveur. Dans tous les cas, il faut que le poulain récupère un peu de cette expérience. C’est presque une course, qu’il a courue pendant ces ventes.

S’il n’est pas vendu, le poulain pourra être présenté plus tard, aux ventes de 2ans montés du printemps suivant, par exemple. Il pourra aussi être mis à l’entraînement par son éleveur. Dans tous les cas, c’est une vie tout à fait différente qui débute car très vite, il va falloir découvrir qu’un bipède peut devenir un cavalier !

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